الأربعاء، 13 نوفمبر 2019

La malédiction de Taj Mahal

écrit par / Tasnim TAHA


Aujourd’hui, c’est le dernier jour de l’année.

Il a commencé, comme d’habitude, trop chargé pour moi : j’ai dû arracher beaucoup d’âmes dès l’aube. De nombreuses personnes avaient tant résisté, d’autres avaient trop souffert avant de me céder leurs âmes. Parmi cette foule, seules trois personnes ont renoncé à leur vie sans douleur : un vieil homme de quatre-vingts ans pendant son sommeil, un nouveau-né au moment où sa mère lui donnait la vie, et une jeune femme pendant son opération chirurgicale, avant de se réveiller de l’anesthésie générale.

Avec ces trois derniers, j’ai ressenti un petit soulagement d’avoir enfin accompli quelques missions rapidement et sans souffrance. Car, même si je suis hideux et que des gouttes d’amertume se collent à mon épée, je n’aime pas voir les humains se torturer en résistant trop longtemps avant de mourir.

C’est pour cela qu’on m’appelle l’ange de la mort.

D’ailleurs, je ne comprends pas pourquoi on m'appelle "Ange", alors que je fais goûter aux mourants l’amertume de la mort. J'ai un cœur dur qui ne ressent ni remords ni douleur, qui se fiche de la souffrance des âmes qui ne veulent pas quitter leurs corps. Parce que ce qui compte pour moi, c’est d’accomplir mes missions à temps, ni avant, ni après.

Aujourd’hui, pour la première fois, j’ai eu un sentiment de doute quant à mes capacités à accomplir une mission en respectant le temps et l’endroit. C’est que, quand j’avais vérifié toutes les informations, je n’avais pas compris comment je pourrais arracher l’âme d'un des partisans de l’Emir, un jeune homme mince aux cheveux rastas, avant le coucher du soleil de ce jour en Inde, alors qu’il est assis ici, confortablement, en ce moment, en train de discuter avec l’Emir dans un palais froid de Sibérie, en Russie.

Car dans la consigne, c’était clair que je devais arracher l’âme de ce jeune homme mince, aux cheveux rastas, en Inde, près de la Yamuna, la rivière proche du Taj Mahal, ce "palais de la couronne", construit par l’empereur moghol Shah Jahan pour abriter les restes de son épouse, Mumtaz Mahal.

D’ailleurs, c’était en arrachant l’âme de cette femme, alors qu’elle donnait naissance à son quatorzième enfant, il y a plusieurs siècles, que j’avais ressenti pour la première fois la douleur du regret d’avoir tué quelqu’un.

Avec embarras, je scrutais les traits fins du jeune homme aux cheveux rastas, me demandant comment je pourrais l'amener en Inde pour accomplir ma mission avec lui là-bas, avant la fin de cette journée hivernale.

Et grâce à mon regard scrutateur, le jeune homme aux cheveux rastas se pencha vers l’Emir pour lui demander qui j’étais, se paniqua quand il apprit que j’étais "la faucheuse", et supplia l’Emir d’ordonner à son tapis volant de l’emmener le plus loin possible de moi.

Pauvre jeune homme, il ne savait pas qu'avec cette réaction, il avait rendu ma tâche plus facile. Car il ignorait que j’avais des pouvoirs plus forts que ceux de son ami l’Emir, qui peut parler aux animaux, voir des fantômes et des anges, comprendre le langage des oiseaux, et ordonner au vent de porter son tapis volant.

Moi, qui peux voler à la vitesse de l’éclair grâce à mes quatre mille ailes qui me permettent de parcourir les quatre coins de la planète en quelques secondes, et qui peux me déguiser ou me rendre invisible, j'ai suivi le jeune homme aux cheveux rastas, sans qu’il me voie voler en parallèle de son tapis volant, juste pour lui permettre d’apprécier ses derniers moments sur Terre.

J’étais fier de moi de le laisser admirer les paysages des montagnes, des rivières, des plaines et des steppes. Et dès qu'il est arrivé en Inde, avant le coucher du soleil, j'ai arraché son âme, exactement à l’endroit indiqué dans la consigne, sur la rivière Yamuna, pendant sa baignade, sans lui donner la chance d’échapper à la noyade dans la rivière sacrée.

Je devrais être satisfait d’avoir accompli cette mission difficile à temps, mais ce n’était pas le cas. Une fois le corps de ma victime tombé dans l’eau sacrée, j’ai ressenti une douleur terrible me pincer le cœur.

Et tout de suite, j’ai repensé aux sentiments qui m’avaient traversé la première fois, quand j’ai arraché l’âme de la femme de l’empereur. C’est ainsi que j’ai compris que j’avais été frappé par la malédiction du Taj Mahal. J’ai failli m’effondrer en larmes lorsque je me suis rappelé la douleur de son mari, dont le chagrin l’avait poussé à construire ce mausolée de marbre blanc, à la mémoire de sa femme, qui deviendrait l’une des sept merveilles du monde. Mais quand je me suis rapidement rappelé la quantité de missions que je devais terminer avant la fin de cette nuit du Nouvel An, j’ai chassé l’image du deuil de l’empereur et je me suis pressé de battre des ailes pour m’envoler en direction de l’Amazonie.

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Tasnim

Paris, 13 novembre 2019


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