السبت، 20 أبريل 2019

La roue de secours

écrit par/ Tasnim TAHA



Le programme était prévu ainsi :
- Sortir de notre maison, située à la rue Sorin à Montreuil vers 11 :45
- Atteindre le boulevard périphérique, Porte de Bagnolet vers 11 :55
- Continuer sur le périphérique jusqu’à Porte de Pantin puis prendre avenue Jean Jaurès ensuite rue la Fayette avant d’arriver à la gare du Nord à 12 :20
Ainsi Sara allait profiter de 25 minutes de discussion avec sa sœur avant que, l’Eurostar, le train de cette dernière, ne parte pour Londres. Mais hélas, parfois on prévoit quelque chose et le destin nous jette sur un autre chemin. 
Si j’avais su que les voitures seraient interdites à Paris ce dimanche-là, j’aurais proposé à Sara de descendre à pied jusqu’à Croix de Chavaux pour prendre le métro. Comme ça, au moins, j’aurai gagné du temps et profité d’une douche chaude avant d’aller réaliser ma visite guidée avec la RATP, proposée pendant le weekend des journées du patrimoine. 
Sare continue de ronger ses ongles, je continue mes exercices de respiration. Je la regarde avec le bout de mon œil et je retiens mon souffle par crainte de me faire contaminer par son stress. Et malgré ma décision de rester zen, je glisse dans les sentiments négatifs et je me mets à maudire ma chance et le hasard qui a poussé la sœur de ma copine à quitter Bordeaux et descendre sur Paris ce dimanche-là. 
Je scrute la file de voitures devant moi en priant de ne pas sursauter encore une fois. Mais ma prière n’a pas été exaucée. Car j’ai dû le faire au moment où Sara a hurlé :
- accélère, dépêche-toi, double ce con qui ne veut pas avancer. 
Je commence à compter jusqu’à dix afin de garder mon sang froid : je veux éviter de lui rappeler qu’à cause du non-respect des règles elle avait raté son examen du code de la route.
 Je retiens ainsi mon envie de lui faire une autre leçon de morale par crainte de la contrarier encore comme je l’ai fait hier soir après avoir critiqué sa manière de cuire le saumon à la poêle. Je respire profondément en me rappelant d’être vigilant pour éviter être exclu de son royaume d’amour ce soir aussi. C’est le point noir de ma déesse d’amour qui m’intrigue : à chaque fois qu’elle est contrariée elle boude et prolonge son silence en refusant catégoriquement que je la touche pour la consoler, comme si elle avait honte que je vois sa faiblesse. 
Je continue à compter dans ma tête pour résister à mon envie de parler. Car je savais que quoi que je dise Sara allait le prendre mal. J’avalai donc ma phrase : calme toi ma chérie, ce n’est pas la fin de monde si tu ne vois pas ta sœur aujourd’hui ! Tu la verras l’année prochaine quand elle aura fini sa mission en Angleterre. A ce moment son téléphone sonne. Avec un geste maladroit, elle décroche pour répondre : 
- Oui Géraldine, on est coincé dans les bouchons, on n’arrive pas à quitter le périphérique pour que je prenne le métro Tu es arrivée à la gare du Nord ?
Je serre mes dents quand Sara donne un coup de poing dans la boîte à gants avant de se tourner vers moi pour m’expliquer que sa sœur a quitté la gare Montparnasse où le train en provenance de Bordeaux l’avait déposée, il y a 10 minutes.
Quel gâchis ! me dis-je avec amertume en réalisant qu’on risquait de perdre encore un quart d’heure sans bouger d’une pouce. 
Je commence à calculer mentalement le temps pour arriver jusqu’à la Porte des Lilas afin de garer la voiture n’importe où et prendre le métro pour que ma copine retrouve sa sœur à la gare du nord. En temps normal il faut cinq minutes entre la Porte de Bagnolet et la Porte des Lilas. Mais avec ces bouchons on a gaspillé 13 minutes avant d’arriver à la porte pour découvrir qu’elle était fermée. Sara reprend ses râlements tandis que je désespère de vivre la découverte des coulisses de la ligne 14 avec la visite, qui commencera sans doute sans moi à 14 heures.
- Vas-y ! accélère ! c’est débouché ! , cria Sara avec enthousiasme. 
J’appuie sur l’accélérateur, et retrouve le moral. Je commence à imaginer la visite guidée qui explique le fonctionnement de la 1ère ligne de métro 100% automatique et ses prolongements en cours. Mais avant que l’air ne sèche les gouttes de sueur sur mon front, j’entends un son bizarre dans ma voiture. Je serre à droite et atteins la bande d’arrêt d’urgence. 

Quand je descends pour vérifier, je ressens une douleur dans ma poitrine. La douleur se prolonge avec les sentiments de regret quand je me rends compte que j’ai oublié de gonfler la roue de secours. J’essuie avec ma main droite mon front et j’observe les voitures qui ont commencé à rouler normalement avec l’allure du périphérique. Aucune ne va s’arrêter pour me dépanner après le temps qu’on a perdu entre Porte de Bagnolet et Porte de Pantin, me dis-je en avançant vers Sara pour lui annoncer la nouvelle. 
Je la dévisage avec méfiance. Ses yeux noisette m’expliquent tout : j’aurai non seulement droit à sa colère le reste de ce dimanche-là, mais aussi à une privation prolongée de son amour, qui pourrait durer deux ou trois semaines, avant qu’elle ne me pardonne.

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Tasnim 
Paris, septembre 2018